Les sources salées, nombreuses dans notre sous-sol, remontent sous forme de saumure, du sel qu’elles dissolvent à moins d’une centaine de mètres de profondeur, dans les formations géologiques du Trias moyen et supérieur du bassin salifère de Lorraine.
C’est le sel de la Seille qui a donné le nom de Saulnois. A l’époque historique, il a été exploité dès l’Antiquité, durant tout le Moyen Age et au cours des périodes moderne et contemporaine.
C’est à la fin du XVIIe siècle que la fortification des places de Marsal et Moyenvic a révélé la présence d’une très importante exploitation du sel antérieure à la période historique, dont les vestiges constitués d’immenses accumulations de fragments de pièces en terre cuite, ont été désignés alors sous le terme de "Briquetage". L’origine de ces amoncellements d’éléments en forme de cylindres, de boudins ou encore d’ossselets est restée longtemps énigmatique, jusqu’à ce que les travaux des archéologues nancéiens de la fin du XIXe siècle permettent de les dater de la période des âges des métaux. Des fouilles de grande ampleur, réalisées en 1901 par le conservateur allemand du musée de Metz, J B Keune, les ont mis en relation avec une activité d’extraction du sel à partir de la cuisson de la saumure des sources salées.
Ces premières recherches jouèrent un rôle pionnier dans le développement de l’archéologie préhistorique du sel en Europe. D’autres accumulations d’éléments techniques en terre cuite -certaines remarquées depuis le milieu du XIXe siècle, comme les Red Hills des côtes anglaises de l’Essex- furent par la suite rapprochées de celles de la vallée de la Seille et identifiées comme des "briquetages". Le terme générique "briquetage" utilisé dès le XVIIIe siècle et que l’on retrouve aujourd’hui aussi bien dans la littérature archéologique anglaise, allemande ou française, identifie désormais les divers vestiges d’un type d’extraction du sel par bouillage de la saumure à saturation dans des fourneaux à sel et sa production dans des moules en terre cuite. On connaît actuellement de très nombreux briquetages en Europe : tout au long des côtes de l’Atlantique et de la mer du Nord, le sel de mer a été exploit par des briquetages littoraux, qui sont distibués, sur le continent, de l’Aquitaine à l’embouchure du Rhin et à la région de la Weser et de l’Ems et dans les îles britanniques de la Cornouaille au Lincolnshire. A l’intérieur des terres, ce sont les sources salées qui ont été exploitées, là encore par des briquetages. Ces briquetages continentaux sont principalement situés en Allemagne, dans le nord du Wurtemberg, en Hesse, en Wesphalie et dans la région de la Saale.
La technique du briquetage remonte au Néolithique et semble diffuser en Europe centrale dans le courant du IVème millénaire av. J.C. Au cours du premier âge du fer, les briquetages continentaux connaissent une très forte expansion : la plupart des sources salées d’Europe occidentale sont intensivement exploitées entre le VIIème siècle et le Vème siècles.
En Lorraine, ce sont les travaux de Jean-Paul Bertaux qui, à la suite des premières recherches de Keune, ont révélé dans les années 1970 l’importance du "Briquetage de la Seille". Sur plus de dix kilomètres, entre Salonnes et Marsal, se concentrent une série de complexes d’ateliers de sauniers dont l’emplacement est marqué par de gigantesques accumulations de rejets de production. Certains îlots peuvent atteindre plusieurs centaines de mètres de diamètre et des hauteurs avoisinant une dizaine de mètres. La masse totale de ces déchets est actuellement estimée à plus de trois millions et demi de mètres cubes.
Cette exploitation intensive du sel, qui s’approche ici d’un stade proto-industriel, s’est développée essentiellement au cours de l’âge du Fer et a sans doute profondément marqué le développement des sociétés de la seconde moité du premier Millénaire avant notre ère dans le Nord-Est de la France.
Une première campagne sur le terrain en août 2001 a bénéficié de nombreuses collaborations scientifiques régionales, européennes et internationales : Bureau des Recherches Géologiques et Minières (BRGM), Service fédéral de Recherches Géophysiques et Géologiques de Hannovre, Bureau d’archéologie préventive de Londres, l’Institut National de la Recherche d’Archéologie Préventive (INRAP) du Grand Est de Moulins-lès-Metz.
Une prospection géophysique héliportée a été menée. Des survols de la zone, ont permis de mesurer, grâce à une sonde tractée sous l’hélicoptère, les variations géophysiques du sol et d’en obtenir des projections cartographiques. L’exploitation des données permet de restituer deux grandes anomalies situées à l’emplacement des villages de Moyenvic et de Marsal : les vérifications au sol indiquent qu’il s’agit des deux plus grands dépots de la vallée. A la prospection héliportée a été associée une prospection au sol des terrains du fond de vallée et des coteaux environnant.
Elle a permis de découvrir un ensemble de neuf autres dépôts de briquetage, parmi lesquels trois grandes zones de fours de cuisson de la saumure. Au total, une cinquantaine de sites, dont de nombreux habitats établis à proximité immédiate des émergences salines de la vallée, ont été enregistrés. L’essentiel des gisements appartient à une période qui s’étend du néolithique au Moyen âge et plusieurs d’entre eux ont livré des vestiges de bois travaillés.
En 2003, les premiers sondages d’évaluation des anomalies géophysiques, réalisés à Marsal, montrent que ces agglomérations de structuires de combustion correspondent à des batteries de fourneaux à sel à chambre de chauffe en forme de U, d’environ 2x3 m. La saumure y était bouillie dans de grands récipients en terre cuite à fond plat, d’une contenance individuelle d’une trentaine de litres. L’ensemble de ces installations est bien daté par le radiocarbone et la typologie de la céramique du premier âge du Fer, principalement du Halstatt ancien (VIIè-VIè av JC).
Les recherches récentes permettent de distinguer deux phases d’activités principales : la première période, ou phase ancienne, est datée du premier âge du Fer (VIIIè-VIè siècles av JC). La seconde période, ou phase récente, est datée de la fin du second âge du Fer (IIè-Ier siècles av JC).
L’exploitation du sel par la méthode du briquetage cesse manifestement avec la romanisation, probablement au Ier siècle apr JC. Durant le premier âge du Fer, les sites de production sont dispersés en une dizaine d’ateliers, sans doute établis à proximité immédiate des principales sources salées de la vallée. Ces ateliers qui atteignent en général des surfaces de 1 à 4 ha, associent complexes artisanaux à des concentrations de fourneaux à sel et des zones de rejets de déchets de production. De nombreux restes domestiques, constitués de fragments de céramique et de restes de faune consommée, sont combinés aux déchets de production : ils indiquent que les habitats des sauniers de la phase ancienne du briquetage de la Seille étaient implantés au voisinage immédiat des ateliers d’extraction du sel. La phase récente est marquée par un regroupement des lieux de production, qui sont désormais concentrés en trois grands centres à Moyenvic, à Marsal et à Vic-sur-Seille. L’extension des accumulations de déchets de production atteint des surfaces d’une dizaine d’hectares à Moyenvic et à Marsal. Celle de Vic-sur-Seille est encore relativement mal connue.
C’est sur ces terre-pleins de déchets industriels que se développeront les agglomérations urbaines romaines de Marsal (Marosallum), Vic-sur-Seille (Vicus Bodiatius) et Moyenvic (Mediano Vico), semble-t-il dès la première moitié du Ier siècle apr JC.